Interview de Manuel Alduy

Directeur du cinéma, des fictions internationales et jeunes adultes

L’année dernière, France Télévisions récupérait les droits de diffusion du Festival de Cannes. En quoi cette opération a-t-elle été un succès ?

Notre première couverture du Festival de Cannes a touché un très large public. De la cérémonie d’ouverture à celle de clôture, près de 28 millions de Français ont regardé la programmation cannoise, c’est-à-dire tous les films, documentaires et émissions associés à cet événement mondial.
Par ailleurs, l’ensemble des antennes de France Télévisions ont déployé une mobilisation inédite et exceptionnelle autour de l’événement. Des émissions très différentes se sont saisies du Festival de Cannes, chacune à leur manière, que ce soit Télématin ou C à vous, La grande librairie, Cannes Festival, etc. On a ainsi pu démontrer que France Télévisions est l’une, voire la plus belle vitrine du cinéma en clair.

 

Pensez-vous que la diffusion du Festival de Cannes ait permis de mettre en lumière l’offre cinéma du service public ? Y a-t-il eu un avant et un après Cannes ?

Notre couverture du Festival de Cannes s’est mise en place au printemps 2022, alors que l’on avait déjà progressivement enrichi notre offre cinéma, en particulier sur france.tv, avec des collections inédites. Elle a permis d’ancrer dans la tête de nombreux publics qu’il y avait une offre de films pérenne et renouvelée régulièrement sur notre plateforme. Pendant et depuis la diffusion de l’événement, les audiences n’ont eu de cesse de progresser, nous nous situons dans une dynamique et une ambition permanentes.
L’éditorialisation du cinéma sur nos antennes, c’est-à-dire sa revendication, s’articule autour de cette idée simple de créer des moments importants de communication, de donner une visibilité un peu massive à notre offre. Une éditorialisation voulue plutôt qu’une programmation au fil de l’eau de films indifférenciés. Ainsi, par exemple, à Noël – même si cet événement dépasse le cinéma seul –, pas moins de 35 films sont offerts sur toutes les antennes du groupe. Aujourd’hui, on diffuse et accompagne, dans un registre plus cinéphile, le Festival de Cannes. Ces deux temps forts, à cinq mois d’écart, sont des moments où France Télévisions célèbre le septième art, tout en faisant montre de la diversité de son offre cinéma.

« Bien plus que de démontrer notre importance dans le cinéma français en tant que premier financeur en clair, notre but essentiel en couvrant le Festival de Cannes est d’amener cette manifestation culturelle d’importance chez chacun(e). Faire vivre à tous le Festival, c’est, par l’explication et la transmission, susciter l’envie du cinéma. De tous les cinémas. »

Mais comment intéresser le téléspectateur à un festival qui parle de films qu’il n’a pas vus ?

C’est le talent des organisateurs, une magie qui s’opère chaque année, avec des années plus ou moins fortes, comme au moment de la covid, où la filière était déstabilisée. Depuis toujours, Thierry Frémaux, le directeur du Festival, arrive à concilier un spectacle composé de films totalement inconnus du grand public, de talents à plus ou moins importante notoriété et de glamour. L’ensemble attire l’œil des gens, qu’ils soient cinéphiles, acquis à la cause, curieux ou vaguement intéressés par le cinéma.
Néanmoins, au moment même du Festival de Cannes, une partie infime des sélections cannoises sort en salles. Cette année, de grosses productions européennes et américaines ont été sélectionnées, notamment Killers of the Flower Moon de Martin Scorsese, avec Robert De Niro et Leonardo DiCaprio, Indiana Jones et le Cadran de la Destinée de James Mangold avec Harrison Ford. Ce qui signifie que le public pourra sans doute les voir rapidement. Mais, de façon générale, ce festival parle effectivement de films que personne n’a vus.

 

Quelle est la ligne éditoriale des programmes de France Télévisions qui accompagnent le Festival de Cannes 2023, notamment en matière de cinéma, et en quoi diffère-t-elle de celle de l’an passé ?

Pour cette deuxième édition, nous avons cherché à monter en gamme, à améliorer qualitativement l’ensemble de la programmation, qu’il s’agisse des films ou des émissions. Dès le 16 mai, sans attendre le Festival de Cannes, nous proposons sur france.tv trois collections : « Cannes pluriel », avec des films issus de différentes sélections parallèles au Festival de Cannes et représentatifs de la diversité du cinéma mondial, « Cannes officiel », avec un choix des plus grands films primés à Cannes, et enfin « Cannes légendes », avec des grands classiques qui ont contribué à faire du festival un lieu mythique.
Durant la quinzaine, 35 films, 35 courts-métrages et 6 documentaires seront diffusés sur nos antennes. Nous proposons une programmation de films percutants dans des registres différents. Je pense à Antoinette dans les Cévennes, la comédie succès surprise de l’entre-deux-confinements à l’automne 2020, ou à Drunk, qui a été moult fois récompensé, notamment aux César et à Cannes, il y a trois ans.
Comme je le disais, toutes les équipes de France Télévisions se mobilisent pour offrir une programmation aussi éclectique que riche. Beaucoup d’émissions du groupe se mettent à l’heure cannoise, Télématin, Les marches, le 18.30 de France 3 Provence-Alpes Côte d’Azur, La grande librairie, C ce soir...
Un dispositif varié et dense avec aussi des nouveautés. Daphné Bürki présentera Cannes Festival diffusé sur Culturebox. Et, grande nouveauté, C à vous descendra sur la Croisette pour proposer, depuis le quai Pantiero, une deuxième partie consacrée entièrement au festival. Pendant la quinzaine, Pierre Lescure et l’équipe de Beau geste seront à Cannes pour réaliser, en restant fidèle à l’ADN du magazine, une belle émission avec des rencontres d’artistes et de talents.

« Le Festival de Cannes est un grand moment de culture. Or, dans les moments de crise, il ne faut jamais abandonner la culture ni réduire les ambitions de son traitement. »

Pouvez-vous nous parler de l’évolution de la politique de France Télévisions en matière de cinéma et du développement de l’offre cinéma sur la plateforme ?

Depuis un peu plus de deux ans, pas à pas, nous avons réussi collectivement deux choses. Premièrement, à construire et à mettre en majesté sur la plateforme france.tv une offre cinéma renouvelée et structurée, laquelle était jusque-là inexistante. Deuxièmement, à utiliser pleinement France Télévisions et toutes ses antennes, linéaires et non linéaires, comme le ferait en quelque sorte un exploitant de salles. Sur France 2, le dimanche soir, le film est suivi de notre nouveau magazine de cinéma, Beau geste. France 3 et France 5 ont également leur rendez-vous de prime time, avec régulièrement sur France 5 des soirées thématiques. Par exemple, pendant le Festival de Cannes, nous proposerons une soirée Almodovar : Tout sur ma mère, suivi d’un documentaire sur le grand réalisateur espagnol.
Culturebox s’est ouvert au cinéma grâce à d’intenses discussions avec les pouvoirs publics, puisque le cinéma n’était pas dans le cahier des charges initial de la chaîne lorsqu’elle a été lancée en février 2021. Pendant Cannes, en 2022, nous avons ainsi diffusé chaque soir un long-métrage sur Culturebox. Cette année encore, nous reproduisons le même dispositif, avec un film diffusé après l’émission de Daphné Bürki. Avec des pépites comme la version restaurée de La Maman et la Putain de Jean Eustache, film culte ressorti au cinéma il y a un an et qui fera l’objet d’une rétrospective en 4K, en juin, dans différentes salles en France.
Nouveauté de 2023, nous avons réussi à convaincre de l’utilité de renforcer l’exposition de nos courts-métrages, que l’on diffuse dorénavant une fois par mois en prime time sur Culturebox.
Nous utilisons donc l’ensemble des fenêtres télévisuelles dont nous disposons pour diffuser la richesse et la diversité du cinéma à tous les publics. Nous voulons que France Télévisions soit la maison du cinéma.


Finalement votre politique en matière de coproduction participe de votre politique de diffusion ?

Oui, la coproduction, à travers le travail de Valérie Boyer, à la tête de France 2 Cinéma, et de Cécile Négrier, côté France 3 Cinéma, répond au même objectif de diversité.
Premièrement, une grande partie des films coproduits a une vocation naturelle à toucher un large public sur nos deux grandes chaînes nationales, France 2 et France 3.
Deuxièmement, comme le précise notre cahier des charges – et nous en sommes heureux –, nous travaillons avec les jeunes talents ; nous explorons le cinéma de genre ; nous suivons des propositions audacieuses qui sont récompensées régulièrement dans les festivals ; nous accompagnons les grands auteurs et autrices. Nous continuons de soutenir activement la place des femmes derrière la caméra, car les propositions de longs-métrages écrits et réalisés par les femmes représentent à peine un quart des projets.
Toute la variété de ces exigences trouve, aujourd’hui, une large place sur nos antennes puisque nous avons élargi l’exposition du cinéma sur nos antennes linéaires et notre plateforme france.tv. D’où la diffusion, par exemple, pendant Cannes sur Culturebox, des films inédits en clair Petite maman de Céline Sciamma, de Gagarine de Fanny Liatard et Jérémy Trouilh, de Josep, réalisé par Aurel. Des films auxquels on donne ainsi une chance de rencontrer un public d’autant plus large qu’ils seront en replay sur france.tv. Collectivement, nous sommes parvenus à rendre le cinéma que l’on coproduit et que l’on diffuse plus accessible au public.

 

Le marché français reste le premier d’Europe. Pour autant il reste fragile. On dit que 2023 sera une année charnière, êtes-vous optimiste ?

À cause de la pandémie, le cinéma en France a souffert, mais il s’en est mieux sorti que dans beaucoup de pays. Parce que les pouvoirs publics ont aidé les exploitants, aucun réseau de salles n’a fait faillite, ce qui n’est pas le cas aux États-Unis par exemple. Le cinéma en France a donc bien résisté. Cependant, en mai 2021, lorsque les salles ont commencé à rouvrir, avec des contraintes sanitaires qui se sont progressivement allégées, 30 % du public n’est pas revenu. À la fin de l’année 2022 et depuis le début 2023, on constate le retour croissant des spectateurs dans les salles, avec 15 millions d’entrées engrangées en janvier 2023.
Par ailleurs, depuis l’an dernier, on reçoit beaucoup de propositions éditoriales de films extrêmement tenues et ambitieuses, qui changent de ce que l’on avait l’habitude de lire. Je suis donc plutôt optimiste.
Autre élément rassurant, depuis la sortie de la pandémie, et qui mérite d’être mentionné, la télévision en clair – et France Télévisions particulièrement – montre le pouvoir démultiplicateur de l’audience. Depuis plusieurs mois, nous diffusons sur nos antennes des films dont la carrière a été abîmée par la covid, Papy sitter, Les éblouis, Miss ou La Daronne, par exemple, qui avaient tous « raté » leur public avec la fermeture des salles. On avait une réelle inquiétude sur l’accueil que les téléspectateurs leur feraient, vu leur notoriété éraflée. Mais 2,7 millions de personnes ont regardé Les éblouis, plus de 4 millions La Daronne. La diffusion sur nos antennes redonne de l’éclat et de la notoriété à ces films, c’est très encourageant pour le secteur.


Propos recueillis par Amélie De Vriese

 


 

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