Ultra Loin

Entretien avec Chloé Léonil, coauteure et réalisatrice, et Étienne Chédeville, coauteur

Comment est née la série, et qu’est-ce qui vous a séduits dans cette idée d’auberge espagnole à la sauce ultramarine ?

Chloé Léonil, coauteure et réalisatrice : À l’origine il s’agit d’une commande du portail Outre-mer de France Télévisions qui souhaitait développer une série autour d’une colocation de jeunes issus des territoires d’Outre-mer. Avec le producteur Augustin Bernard et Étienne (Chédeville), nous avons répondu à l’appel à projets et par la suite nous avons développé nos idées… Moi, je suis martiniquaise, et même si j’ai grandi à Montpellier, j’ai plusieurs personnes de ma famille qui sont venues de Martinique pour faire des études et qui m’ont raconté des tas d’histoires. Le sujet m’intéressait évidemment. Étienne, que je connaissais de l’école en Belgique (l’INSAS), m’a rejointe dans cette aventure. C’était la première fois que nous travaillions ensemble et ça s’est très bien passé ; vraiment, c’était une super expérience et une belle rencontre professionnelle.

Étienne Chédeville, coauteur : Chloé m’a proposé de travailler avec elle sur ce projet précis. Nous sommes diplômés de la même école mais avons suivi des filières différentes (elle en réalisation et moi en scénario). J’ai fait ensuite une formation complémentaire sur les séries télé. Je crois que c’est ce qui l’a intéressée chez moi, ainsi que le fait de savoir que je jouais également ; je pense qu’elle avait envie de cette facette-là.

Comment avez-vous procédé pour l’écriture ? Vous avez travaillé à quatre mains ? Chacun de votre côté ?

C. L. : En fait, au cours de nos nombreuses séances de travail, nous avons parlé ensemble à la fois des personnages et de la trame des épisodes ; nous avons donc construit toute la série, disons « grossièrement », vraiment à deux, en discutant, en notant… Ensuite, une fois qu’on savait ce qu’on voulait raconter dans chaque épisode, comment était chaque personnage, ce qui devait se passer à chaque moment, nous nous les sommes répartis : il a écrit le 1, moi le 3… et on a partagé certains ; après on se repassait le travail écrit. Franchement on a tout fait ensemble.

E. C. : On s’est tout de suite vus autour d’un café pour parler de ce qu’on avait envie de voir dans cette série, et puis moi j’ai toujours mon carnet sur moi, et elle aussi… Le principe de base était celui d’une colocation de 10 Ultramarins dans une grande ville ; juste ça ; or, retrouver dix personnes venues de tous les territoires d’Outre-mer dans la même maison, c’est un peu surréaliste. Il faut pouvoir faire adhérer le spectateur à cette idée-là. Mais en même temps la comédie c’est génial pour ça, parce que du coup il nous a suffi d’un personnage fort, qui après avoir vécu une intégration difficile à son arrivée en métropole décide d’aider d’autres à vivre une autre réalité, pour que ça fonctionne. Et c’est assez beau finalement comme démarche.

On a énormément parlé entre nous. Moi, je crois que l’écriture de séries passe beaucoup par l’oralité, pour envisager les personnages, les situations… On a tout défini ensemble et puis oui, il y a une partie de l’écriture qui est solitaire ; on se donnait chacun comme mission la V1 de tel épisode et puis on échangeait pour faire la V2. Certains, on les a écrits à quatre mains. On a travaillé de la manière la plus efficace possible.

Vous aviez des idées précises pour construire les différents personnages de la série ?

C. L. : Certains se sont imposés, comme par exemple le personnage de Jordan, que j’avais développé auparavant, de manière beaucoup plus dramatique dans un court-métrage. Il nous est arrivé de nous inspirer aussi de personnages qu’on aimait dans d’autres séries. On a essayé en tout cas de travailler à chaque fois à des caractéristiques hautes en couleur qui pouvaient donner du relief aux personnages. On s’est aussi parfois inspiré des acteurs, c’est le cas, par exemple, pour le rôle de Shékina, qui a même conservé son vrai prénom.

E. C. : La réalité fait qu’on a envie de coller aux acteurs et pas le contraire. On avait créé un personnage qui venait de Nouvelle-Calédonie, mais pas déniché le comédien qui convenait pour le rôle, et quand on a trouvé quelqu’un qui collait vraiment au personnage, il venait de… Guyane ! Les acteurs ne sont pas tous nés en Outre-mer, n’ont pas tous le même parcours que leur personnage, mais en sont quand même très proches, ils ont des amis dans le même cas…

Comment avez-vous choisi vos comédiens ? Vous avez fait un casting ensemble ?

C. L. : Jordan, je le connaissais et j’ai tout de suite pensé à lui ; Shékina je l’avais vue auparavant lors d’un autre casting. Sinon, il existe à Limoges une classe préparatoire pour entrer dans les grandes écoles de théâtre, destinée aux étudiants issus des Outre-mer. Moi, je suis partie de là au début, pour voir les jeunes et ça nous a inspirés. En fait, Olenka qui joue Laura, Chara qui joue Émilie, Shékina et même Mahealani qui joue Moeata viennent toutes les quatre de cette formation. On a quand même organisé un casting parce que je ne les connaissais pas et j’avais envie de les rencontrer, mais aussi pour pouvoir voir d’autres jeunes ; et on en a reçu beaucoup, et des vidéos…

E. C. : Le choix final revenait toujours à Chloé, mais j’avais envie de participer, et je pense que ça lui allait d’ailleurs ainsi qu’à la prod, que je sois là pour regarder, pour donner un avis. Dans l’ensemble, il y a eu de vraies surprises pendant le casting, des gens qui nous ont étonnés, une personnalité forte, des idées, un vécu… Il y a des présences qui font changer le cours des choses. C’est à ces moments-là que l’on peut discuter de la direction à suivre ou de l’intérêt à prendre tel ou tel acteur.

Le format d’Ultra Loin est assez original. Est-ce votre choix au départ ? Et qu’apporte le mockumentary ?

C. L. : C’était avant tout une idée du producteur. Nous étions contraints par le temps et ne disposions pas de beaucoup de moyens. Il fallait donc réfléchir à un concept qui nous permettait d’être « légers ». Quand Augustin (Bernard) a lancé l’idée du mockumentary, ça a tout de suite résonné chez nous. Avec Étienne, nous aimons beaucoup la série The Office, que du coup nous avons regardée pendant l’écriture d’Ultra Loin, ce qui nous a vraiment aidés. Le mock est un concept fort adapté à la comédie qui simplifie l’écriture et le tournage ; ça permet d’avoir des caméras qui ne coûtent pas forcément une fortune, d’économiser tout ce qui est machinerie, mais aussi d’assumer les éventuels couacs du tournage en jouant sur le côté « on est en direct ». On a vraiment fait cette série en très peu de temps et ce système nous a permis d’être plus tranquilles.

E. C. : Le format du mockumentary change un peu les choses, c’est à travailler ; il y a plusieurs séries qui fonctionnent déjà là-dessus, surtout américaines. Nous avons regardé notamment The Office en entier et en parallèle avec Chloé pour se donner des idées. Nous échangions tous les jours sur l’endroit où placer la caméra, sur les scènes d’intimité… il y avait plein de petites astuces à trouver. C’était un défi mais c’était passionnant.

Vous avez évoqué un timing très serré…

C. L. : Pour résumer : on a su qu’on avait gagné l’appel à projets le 15 décembre ; on a commencé à tourner le 7 mars et on a fini le 25 ; on a tourné trois semaines ! On a écrit le scénario avec Étienne en deux mois ; c’est vraiment rapide. En gros, on avait deux jours pour faire un épisode ; ça nous a fait assez peur au début, mais en même temps ça nous a aussi libérés, on a pu tenter plein de choses. C’était un challenge que toute l’équipe a voulu relever et qui, je pense, a donné une énergie qui se ressent dans la série. Une très bonne expérience !

E. C. : Oui, c’était un vrai challenge ! Mais en même temps c’était jouissif de pouvoir aller aussi vite. Il a fallu trouver un équilibre mais c’était vraiment agréable de foncer, de plonger complètement dans les personnages et les épisodes. Pour moi, Chloé est une rencontre incroyable ; je la connaissais, mais on s’est trouvés sur la même longueur d’onde, notre relation m’a beaucoup enrichi et j’étais ravi de travailler avec elle.

Et comment ça s’est passé avec les comédiens, avec un tournage si court ?

C. L. : On a eu beaucoup de chance. Ils étaient tous très partants pour participer à ce projet, aussi parce que la série raconte des choses que certains ont vécu. Ils avaient donc envie de défendre un propos qui leur était cher. Ils sont tous jeunes et pour la plupart c’était leur vraie première expérience télé et du coup je trouve que ça a joué. Certains se connaissaient bien grâce à leur formation et les liens se sont renforcés pendant le tournage ; ils ont même été force de proposition dans la série et m’ont surprise notamment à la fin de l’épisode 3, avec une chanson dont ils ont écrit les paroles. Ça s’est extrêmement bien passé, il y a eu un vrai effet de groupe.

Êtes-vous attachés à certains personnages plus qu’à d’autres ?

C. L. : J’hésite… celui de Jordan peut-être, parce que c’est un personnage que je tiens depuis un moment ; je suis attachée à ce coté faux bad boy, un peu naïf, c’est quelqu’un que j’aime beaucoup ; Thibaut aussi, je le trouve touchant et sa trajectoire intéressante ; Shékina pareil ; après on finit par s’attacher… Par exemple, pour moi Émilie s’est révélée au tournage ; la comédienne a vraiment très bien défendu son personnage, qui est devenu l’un de mes préférés au montage, alors que c’était moins clair quand j’écrivais la série. Ce qui est intéressant, c’est qu’il y a des choses qui naissent en cours de route et dont les acteurs peuvent se saisir ; en tout cas, tout n’est pas joué à l’écriture et c’est bien ainsi.

E. C. : Je les adore vraiment tous ! J’ai l’impression qu’on les a tous développés suffisamment pour donner une vraie couleur émotionnelle à chacun, mais peut-être que le téléspectateur va avoir envie d’en savoir plus sur l’un ou sur l’autre… On a fait en sorte de créer une partition pour chacun et je crois qu’on a plutôt réussi cette partie-là. Il y a évidement un attachement. Moi, je regarde les acteurs et je suis hyper ému.

En ce qui concerne la réalisation, vous avez travaillé seule ou Étienne a participé ?

C. L. : Au niveau réalisation, c’est vraiment moi. Maintenant, il y a des choses qui étaient inscrites dans le concept, et justement le mockumentary force une forme de réalisation, mais sinon la direction d’acteurs, le choix des cadres, le découpage, avec ma chef opératrice, ça a été seulement ma partie.

E. C. : Non, c’est Chloé la réalisatrice. Ce qui était très important pour moi, c’était qu’il y ait une lecture ; on en a fait une entre nous juste avec la prod et nous les auteurs pour retravailler le texte, ensuite on a en a fait une autre avec les comédiens autour de la table (ou pour certains par zoom), ce qui a permis de réajuster des petites choses. Le fait de lire tous ensemble crée une émulation, c’est important. Après, je suis venu aux répétitions, le premier jour de tournage et deux ou trois fois encore, mais je savais que Chloé avait 10 minutes par jour pour tourner, ce qui est énorme… De toute façon on avait tellement travaillé ensemble sur l’écriture que je lui faisais confiance à 100 %.

Des souvenirs forts, bons ou moins bons, de cette aventure ?

C. L. : Heureusement, on n’a pas eu trop d’accidents parce qu’on était dans un tel rythme que le moindre petit couac nous aurait handicapé quand même. Il y a eu plutôt de bonnes surprises, le moment du chant, ainsi qu’un autre similaire dans l’épisode 5 : les comédiens, alors qu’on était en train de préparer la scène, ont entamé un chanté Noël, un chant des Antilles qu’on a décidé de garder. Ça a plutôt été dans ce sens-là. Il n’y a pas eu trop de couacs ni d’imprévus, on a eu de la chance, et heureusement !

E. C. : Par exemple, j’étais très ému à la première lecture de les voir s’approprier le texte, les choses, il y avait une spontanéité dans le groupe qui était vraiment jouissive et je me souviens de m’être dit alors que la série avait vraiment du sens.

Était-ce une bonne expérience ? Est-ce que ça vous plairait de vous lancer dans une 2e saison ?

C. L. : Ah oui vraiment ! Pour toute l’équipe, ça a été un super tournage, on a beaucoup ri, c’était très joyeux. Et c’est clair qu’avec Étienne on aimerait bien faire une saison 2 d’Ultra Loin, mais ça… ça va dépendre de la réception du public !

E. C. : Évidemment, on adorerait, mais ce n’est pas entre nos mains. Déjà à la fin de cette saison, on a envie de savoir ce que devient tout le monde parce qu’on a fait en sorte que chacun ait un petit bouleversement dans sa trajectoire… je crois que même nous, on a envie de connaître la suite...
De toute façon, c’était une très belle expérience.

Propos recueillis par Béatriz Loiseau

Biographies


Chloé Léonil

Élevée à Montpellier par des parents martiniquais, Chloé étudie l'Histoire et le théâtre à Paris avant d’intégrer l’INSAS à Bruxelles en cursus réalisation. Son film de fin d'études, Plaqué or, a été sélectionné et primé dans plusieurs festivals internationaux comme Premier Plan d'Angers ou Palm Spring Short Fest. En sortant de l'école, elle coécrit Les Intranquilles de Joachim Lafosse et travaille depuis avec plusieurs auteurs comme scénariste. En 2021 elle réalise en Martinique son deuxième court-métrage, Tjenbé red. En 2022, elle coécrit et réalise la série Ultra-loin et continue de développer son premier long-métrage, Sunshine.
 

Étienne Chédeville

Originaire de Rouen, titulaire d’un bac cinéma, il a ensuite obtenu une licence d’études cinématographiques à Paris-Diderot, puis un master d’écriture de scénario à l’INSAS (Bruxelles). Depuis, il a fait partie du Writer’s Campus de Séries Mania, de la formation internationale d’écriture FIEST et du Cannes Storytelling Institute (résidence d’écriture de long-métrage). Étienne développe des projets pour le cinéma et la télévision.

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