Cannes 2016

Après avoir diffusé, dimanche 15 mai, The Place Beyond the Pines de Derek Cianfrance suivi de Drive de Nicolas Winding Refn, France 2 propose Camille redouble et La Vie d’Adèle. Le charme ténébreux de Ryan Gosling (et plutôt deux fois qu’une), le burlesque nostalgique de Noémie Lvovsky et la poésie charnelle d’Abdellatif Kechiche : pas de doute, le septième art est à l’honneur sur France 2 ! C’est que, du 11 au 22 mai, à l’occasion du 69^e festival de Cannes, France Télévisions fait la part belle au cinéma. Normal, quand on en est le partenaire majeur et premier investisseur parmi les chaînes en clair.

Camille et Adèle
Minijupe écossaise, bomber orange fluo, Walkman de taille disproportionnée : bienvenue dans les années 1980 ! La réalisatrice Noémie Lvovsky (Les Sentiments, Faut que ça danse !) s’y plonge avec délectation, revisitant tout à la fois ses souvenirs d’adolescente et l’histoire du cinéma – Camille redouble serait comme la petite sœur française de Peggy Sue s’est mariée de Francis Ford Coppola et de Retour vers le futur de Robert Zemeckis. Après une soirée bien arrosée, l’héroïne qu’elle interprète se retrouve soudain, vingt-cinq ans en arrière, dans la peau de la lycéenne qu’elle était, tout en gardant son apparence adulte, une des belles idées de ce film – qui par ailleurs n’en manque pas –, propice à d’impayables et cocasses décalages. L’occasion, non pas de changer le cours de l’histoire, mais de savourer et chérir une nouvelle fois ces liens qui unissent hier à demain. Ainsi, Camille profite-t-elle de cet improbable voyage dans le temps pour dire enfin au revoir à sa mère (somptueuse Yolande Moreau), emportée par une crise soudaine, et pour rencontrer à nouveau, mais en connaissance de cause, le futur père de ses enfants. Tour à tour déjanté et émouvant, mélo et burlesque, hilarant et doucement mélancolique, Camille redouble distille avec générosité une énergie communicative. Un de ces films qui, par-delà sa fantaisie affichée, parvient à transmettre quelque chose de la vie qui passe, comme un miroir tendu à nos propres souvenirs, espérances et regrets. De Camille à Adèle, c’est le même art du cinéma comme exploration/extraction des sentiments. Dans un autre registre, plus viscéralement ancré dans le réel, La Vie d’Adèle, Palme d’Or 2013, fait aussi écho à nos propres émotions. En racontant, pas à pas, de la rencontre à la séparation, une histoire d’amour entre deux jeunes femmes (Léa Seydoux et Adèle Exarchopoulos, bouleversante révélation du film), Abdellatif Kechiche filme avec fougue ce qu’une vie – toute vie – contient tout à la fois de banal et de grandiose, de commun et d’unique. Le réalisateur, révélé en 2004 par son deuxième film L’Esquive, s’inspire ici du roman graphique Le bleu est une couleur chaude de Julie Maroh, sans abandonner ce qui fait la radicalité et l’originalité de son cinéma, que l’on a comparé volontiers à celui de Maurice Pialat. Caméra au poing – caméra coup-de-poing –, il filme jusqu’à l’épuisement les corps, les visages, les repas, les étreintes, les disputes, pour qu’apparaisse enfin, dans toute sa force et fragilité, la vérité nue. Attention, chef d’œuvre.